A la rencontre du peuple Yézidi d’Irak

Le yézidisme est une des plus anciennes religions monothéistes. Peu connu du grand public, elle est aujourd’hui propulsée sur le devant de la scène médiatique depuis que l’Etat Islamique (ex-EIIL) massacre les Yézidis d’Irak. Ce groupe djihadiste justifie cette barbarie en reprochant aux Yézidis d’être des « adorateurs du diable »…
Le 4 août, la ville de Sinjâr tombe aux mains de l’État Islamique à l’issue d’une brève bataille contre les Peshmergas. N’ayant le choix qu’entre l’exil ou la mort, les Yézidis partent par dizaines de milliers pour tenter de se réfugier au Kurdistan irakien. Durant cet exode, plus de 600 civils sont massacrés et des centaines d’autres sont enlevés par L’Etat Islamique.
Les Yézidis n’en sont malheureusement pas à leur première persécution. Le 14 août 2007 quatre attentats-suicides simultanés eurent lieu près de Mossoul faisant près de 800 morts. Cela en fait l’attentat le plus meurtrier depuis celui du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis. Ces quatre attaques visaient les Yézidis…

Afin de mieux connaitre ce peuple qui subit en ce moment même un véritable génocide, je vous emmène à la découverte du temple de Lalesh, lieu saint des Yézidis. Ce temple a d’ailleurs été détruit plusieurs fois sous l’empire ottoman, et il a été reconstruit chaque fois par les fidèles malgré les multiples persécutions.

Le temple de Lalesh vu depuis une colline environnante.
Le temple de Lalesh vu depuis une colline environnante. Les toits coniques sont caractéristiques des édifices religieux des Yézidis, et notamment des monuments funéraires, symbolisant le voyage de la terre vers le ciel.

Lalesh est située à une centaine de kilomètres d’Erbil au nord du Kurdistan irakien. C’est dans cette région que vivent la majorité des Yézidis. On estime qu’ils sont entre 200 000 et 600 000. C’est là aussi que se trouve le temple sacré des Yézidis. Il abrite le tombeau du réformateur Sheikh Adi (1073-1162), c’est un lieu de culte ou chaque Yézidi doit se rendre en pèlerinage au moins une fois dans sa vie. Certains viennent de loin puisqu’il existe plusieurs diasporas yézidis principalement en ex-URSS et en Allemagne mais aussi aux Etats Unis et au Canada comme cette jolie yézidie (ci-dessous) venue avec sa famille pour les vacances. En France il y aurait environ 7 000 Yézidis.

Une jeune femme yézidis issue de la diaspora canadienne venue en pèlerinage à Lalesh.
Une jeune femme yézidie issue de la diaspora canadienne venue en pèlerinage à Lalesh.

Afin d’entretenir et de faire vivre ce lieu saint où plus de 15 000 fidèles se rendent chaque été, quelques familles yézidis habitent au temple. C’est le cas d’Azmaa dont la principale fonction est de baptiser les jeunes enfants. La tradition veut en effet que les enfants soient amenés à la source blanche du temple, « Kanya spi » en kurmandji, entre l’âge de six mois et un an. C’est avec l’eau de cette source que le « Cheikh » ou « Pir », en la personne d’Azmaa (ci-dessous), asperge l’enfant pour le présenter à dieu et le protéger.

Ces photos illustrent cette cérémonie nommée « Môrkrn » suite à laquelle les invités jettent des friandises en l’air pour porter chance à l’enfant.

L'eau de la source blanche du temple de Lalesh est versée sur un jeune yézidi pour le baptiser.
L’eau de la source blanche du temple de Lalesh est versée sur un jeune yézidi pour le baptiser.

Le temple yézidi de Lalesh-7

Le temple yézidi de Lalesh-9

Le temple yézidi de Lalesh-10

Azmaa vie dans le temple de Lalesh et s'occupe de baptiser les jeunes enfants yézidis.
Azmaa vit dans le temple de Lalesh et s’occupe de baptiser les jeunes enfants yézidis.
A la fin de chaque cérémonie, Azmaa ramasse les bonbons jetés par les invités pour porter change à l'enfant fraichement baptisé.
Après chaque cérémonie, Azmaa ramasse les bonbons jetés par les invités.
Voici le bassin où sont baptisés les jeunes enfants yézidis à Lalesh.
Voici le bassin où sont baptisés les jeunes enfants yézidis à Lalesh.

 

Un tout autre rituel yézidi consiste à allumer des feux dans chaque maison et au temple de Lalesh chaque soir avant le coucher du soleil. Selon leurs croyances le feu est l’incarnation du Soleil sur Terre. Le soleil étant sacré pour eux, c’est leur façon de le vénérer. Cela n’est pas sans rappeler les zoroastriens qui vénèrent Mithra une divinité solaire. Tout comme ces derniers, les Yézidis prient en direction du soleil.
Il existe beaucoup d’autres similitudes entre les pratiques des Yézidis et celles d’autres courants religieux.
Les Yézidis font par exemple référence à Jésus dans leurs prières. Le baptême est à la base une pratique du christianisme. On y trouve aussi des similitudes avec l’hindouisme à travers leur croyance en la réincarnation.
Certains spécialistes pensent que le yézidisme prend racine dans la Perse antique tandis que d’autres pensent qu’il s’agit d’un mouvement hétérodoxe de l’islam sunnite apparu au XIIe siècle et sur lequel des éléments pré-islamiques ont par la suite été greffés.
Ce qui est sûr c’est qu’il est difficile d’étudier de près cette religion car il n’existe qu’un exemplaire de ses deux livres sacrés (le Kitêba Cilwe, le Livre des Révélations, et le Mishefa Reş, le Livre noir) et très peu de Yézidis ont pu le consulter. Leurs rites se transmettent oralement, et sans prophète.

Pour revenir à ce rituel du feu, voici une série d’images qui montrent les deux hommes chargés de parcourir Lalesh tous les soirs avant le coucher du soleil pour y allumer un feu avec de l’huile et des mèches devant chaque bâtiment.

Chaque soir avant le couché du soleil à Lalesh, des yézidis allument un feu avec de l'huile et des mèches devant chaque maison.
Chaque soir avant le coucher du soleil à Lalesh, des Fakirs yézidis allument un feu avec de l’huile et des mèches devant chaque maison.
Le feu représente l'incarnation du Soleil sur Terre pour les yézidis.
Le feu représente l’incarnation du Soleil sur Terre pour les Yézidis.
Un Yézidi pose des mèches imbibées d'huile dans Lalesh pour vénérer le Soleil.
Dans Lalesh, un Fakir yézidi allume des mèches imbibées d’huile.
Le temple yézidi de Lalesh-26

 


Chaque soir avant le couché du soleil à Lalesh, des yézidis allument un feu avec de l'huile et des mèches devant chaque maison.

 

L’atmosphère qui règne à Lalesh est tout à fait apaisante. La cour du temple est parsemée d’arbres sacrés à l’ombre desquels les Yézidis échangent avec leur famille ou amis autour d’un thé ou d’un repas. Ici tout le monde se balade pieds nus pour être plus proche de la nature. Très hospitaliers comme leurs homologues kurdes, les Yézidis vous inviteront à coup sûr à rejoindre leur festin…

Une fillette yézidi en compagnie de ses proches qui discutent à l'ombre des arbres sacrés du temple.
Une fillette yézidie en compagnie de ses proches qui discutent à l’ombre des arbres sacrés du temple.

Les pèlerins qui se rendent à Lalesh ne manquent jamais d’accomplir des petits rituels qui, selon les croyances yézidis, porteraient chance où permettraient d’exaucer leurs voeux. Chaque Yézidi qui se rend à Lalesh fait par exemple trois fois le tour de la tombe de Sheikh Adi pour que le Saint exauce son voeu. Il y a également à Lalesh de nombreux foulards aux couleurs de l’arc-en-ciel qui ornent les tombes et piliers du temple. Lorsqu’un fidèle passe devant ces foulards il y fait un noeud en faisant un voeu puis dénoue un autre noeud pour que le voeu d’un précédent fidèle soit exaucée.

Lors de leur passage au temple, les yézidis nouent ces tissus en faisant un voeu.
Lors de leur passage au temple, les Yézidis nouent ces tissus en faisant un voeu.
Lorsque le noeud fait par un yézidi est défait, son voeu est censé se réaliser.
Lorsque le noeud fait par un Yézidi est défait, son voeu est censé se réaliser.
Le khefieh (turban) des Yézidis du Kurdistan est traditionnellement rouge et blanc.
Le khefieh (turban) des Yézidis du Kurdistan est traditionnellement rouge et blanc.

Cette journée passée parmi les Yézidis prend fin. Au sein de ce temple je n’ai ressenti que sérénité, respect, plénitude et partage. En quittant ce lieu la seule envie qui m’anime et d’y revenir un jour. Espérons que ce jour ne tardera pas à arriver…



Commentaires (13)

  1. Morgane Cuoc

    Bonjour M. Pasqué,

    Journaliste free-lance, j’ai pris connaissance de votre blog dont j’apprécie beaucoup la démarche.

    Demain, je partirai avec un photographe pour Erbil, (http://pierrebenoitroux.wix.com/photographe) afin de réaliser un reportage sur les camps de réfugiés Yézidis.

    Nous comptons également nous rendre à Lalesh : pensez-vous qu’il vous soit possible de nous renseigner sur les conditions de sécurité pour y aller et de nous mettre en contact avec les éventuelles relations que vous avez pu tisser là bas ? Nous avons déjà pris contact avec Béatrice Dillies tenant le blog le « Phenix Kurde », mais compte tenu de la situation, un deuxième avis nous semble important.

    Nous serons bien entendu ravis de vous transmettre les informations que nous recueillerons sur place.

    Bien cordialement,

    Morgane Cuoc
    Morgane.cuoc@gmail.com
    06.81.81.21.46

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    • jonathanpasque

      Bonjour,
      Je pense qu’il est tout à fait possible de vous rendre à Lalesh. J’y suis allé pour ma part en minibus collectif mais, étant donné la situation actuelle, je pense qu’il sera plus rapide et sécurisant pour vous d’y aller avec un chauffeur privé qui ne fera pas de détour. En voici un qui est anglophone : Alan 009647708172829 (les sms passent)
      dites lui que c’est de la part d’Eric de lonely planet.
      Bon voyage et à bientôt peut-être !

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  2. TAMOEV

    Monsieur Pasqué, vous avez réalisé un article formidable sur notre temple vous avez bien décrit et je vous en remercie, je reviens du temple il y’a une semaine, , je suis ezdi de belgique, vous êtes le bienvenue au bureau ezdi de liaison et d’information situé à liège , si vous souhaitez obtenir des informations sur le peuple ezdi n’hésitez pas à me contacter, je prépare une exposition en belgique et vous serez le bienvenue au premier rang. Cordialement Tamoev Kniaz

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    • jonathanpasque

      Bonjour et merci pour ce compliment. Je suis content que vous retrouviez à travers mes photos l’atmosphère qui règne à Lalesh. Dès que je trouverai le temps je vais publier un second article sur les kurdes d’Iran cette fois…
      Je serai ravi d’assister à votre exposition à Liège. A quelles dates a-t-elle lieu ?
      Encore merci et à bientôt.

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    • Benkoski Hubert

      Bonjour Monsieur Tamoev,
      Je suis arrivé sur cet échange de courriels en cherchant à situer la ville de Lalesh.
      C’est un contexte malheureux qui nous a fait connaître votre communauté. Je désire vous exprimer toute ma sympathie et mon désir de mieux vous connaître.
      Je suis un (vieux !!!) juif belgo-israélien installé à Bruxelles.
      Avec mes meilleures salutations.
      Hubert Benkoski

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  3. Vin

    Wow what a beautiful culture and people.

    The beauty and cultural diversity of the middle east has already been monotonized by a lot of senseless allahu snackbar yelling jihadis. Here we find a pocket of culture about to get slaughtered and we just sit here, doing nothing to protect them.

    And respect to the beautiful Yazidi people.

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  4. Cath

    Bonjour, je trouve vos articles sur l’Irak et les Yezidi très beau et vous montrer bien notre culture sans la déformé et je vous en remercie j’attend avec impatience d’autre article qui seront en rapport avec.
    Encore bravo pour vos articles si seulement toutes les personnes qui nous jugent pouvaient voir cette article.

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  5. Ezidi Pir

    Bonjour, merci d’avoir s’intéresser au peuple ezidi.
    Nous vous invitons à visiter notre site Ezidi.fr dédié à la communauté des Ezidis vivant en France.

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  6. ali hussein

    Bonjour votre reportage et très bien monsieur mais je tenais juste a rectifier une chose vous dite que il on souvent été persécuter par les musulmans- je ne suis pas d’accord avec vous car dans l’islam il ya 73 branche différente don dite plutôt des secte svp car l’islam ne tolère pas la violence mais la paix comme le signifie son nom. Merci et que vous viviez tous en paix ainsi que nos freres yezidi as salamahlikum.

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  7. Ifsel

    Ces images m’ont rendu nostalgique, je suis une Ezidi vivant en Belgique depuis bientôt 10 ans , j’avais 4 ans quand je suis arrivé ici en Belgique et quitté mon pays à été dur , merci , car grâce à vous les gens peuvent voir le respect et la sérénité de notre religion.

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